3 questions à Véronique Foz, l’autrice de « Welcome Sarah »

Le mois des fiertés approche ! Pour l’occasion, les éditions Milan publient Welcome Sarah, un roman lumineux sur la transidentité. Son autrice, Véronique Foz, a accepté de répondre à nos questions sur ce texte délicat et plein d’espoir.

Véronique Foz a grandi en Espagne où elle a suivi sa scolarité par correspondance, loin des bancs de l’école. Depuis ses études de lettres, elle partage son temps entre l’écriture, la traduction et l’iconographie. Avec Welcome Sarah, elle signe son premier roman young adult.

Vous êtes l’autrice de plusieurs romans, tous destinés à la jeunesse. Pourquoi écrire pour les plus jeunes ? Que vous permet la littérature jeunesse ?

Je ne me suis jamais vraiment posé la question. Il y a toujours eu beaucoup de livres autour de moi et dès que j’ai su lire, je dévorais tout ce qui me tombait sous la main. Je pouvais passer de la Comtesse de Ségur à Balzac, avec une prédilection, enfant, pour les contes de fées, et adolescente pour le fantastique et l’aventure… Certains livres, bien sûr, étaient plus faciles, plus rapides à lire que d’autres, mais je ne faisais pas vraiment de différence, du moment qu’un livre me plaisait, il me plaisait, et comme Sarah dans Welcome Sarah, les mots que je ne comprenais pas me fascinaient et m’émerveillaient.

J’écris depuis l’enfance, mais j’ai commencé tard à envoyer mes textes à des éditeurs. Mes premiers romans étaient plutôt autobiographiques. Un jour, une amie m’a dit « Pourquoi tu n’essayes pas d’écrire pour la jeunesse ? » Elle m’a parlé d’une collection de romans qui à travers le fantastique abordaient des questions psychologiques. L’idée m’a séduite et c’est comme ça qu’est né L’échangemon premier roman ado, dans lequel j’ai eu l’impression de mettre beaucoup plus de moi, et avec plus de liberté, que je ne l’avais fait dans mes textes précédents.

Je me suis rendu compte que le fait de m’adresser à un public jeune m’obligeait à être extrêmement claire, précise, sincère. Avec les enfants et les adolescents, on ne fait pas de « style ». Du coup, on doit aller droit à l’essentiel.

Et ça m’a libérée

De plus, avec les ados, on peut aborder tous les sujets importants, sans peur et sans détour. C’est quand on est jeune qu’on se pose les plus grandes questions : le sens de la vie, notre place dans le monde, la mort, la maladie, l’amour

Dans vos romans, les personnages présentent une différence – manque de confiance en soi, autisme, et, dans Welcome Sarah, transidentité – qui les fait se sentir à la marge de la société et de ses normes. D’où vient cet intérêt pour la différence chez l’enfant, chez l’adolescent ? Comment vous saisissez-vous de ces sujets ?

C’est vrai. Cela tient à trois choses :

D’une part mon intérêt pour la psychologie et les livres de psychologie.

D’autre part, les gens qui m’entourent ou ceux que je rencontre. Certains sujets me touchent plus que d’autres parce que des personnes de mon entourage y sont confrontées, comme l’autisme par exemple.

Et enfin, mon histoire personnelle. On m’a fait remarquer que tous mes personnages ont en commun un père absent, en plus de leurs difficultés à se situer par rapport aux autres et à la société. Or, mon père a été absent une grande partie de mon enfance.

Il y a un autre élément qui réunit mes romans jusqu’à aujourd’hui, c’est qu’ils présentent tous un personnage qui considère qu’il n’est pas dans le bon corps. Dans L’échange, l’héroïne souhaite être « n’importe qui d’autre plutôt qu’elle-même » et elle se retrouve dans le corps d’une de ses camarades de classe, par magie. Dans Le garçon qui voulait être un chat, c’est un enfant autiste qui se sent si mal dans sa peau qu’il pense être un chat, un chat dans un corps d’humain, et enfin dans Welcome Sarah c’est une petite fille coincée dans le mauvais corps

Pourquoi ? Pourquoi cela me poursuit-il ? Je ne sais pas… tout ce que je peux dire c’est que c’est vrai, enfant, même si je ne rêvais pas de changer de corps, je ne savais pas trop où était ma place. Je me sentais toujours décalée, à côté de la plaque pour ainsi dire… J’avais deux pays, deux maisons, et du fait que je n’allais pas à l’école, je n’appartenais à aucune communauté.

Évidemment, tout le monde se sent à la marge à un moment donné de sa vie. Il suffit de peu. Un déménagement, une maladie, un chagrin d’amour… et tout bascule.

Alors oui, la marge m’attire, et je m’intéresse aux personnages qui me touchent et dans lesquels d’une certaine façon je me reconnais.

Comment je m’empare du sujet ?

En me documentant d’abord. En m’inspirant des gens que je connais. En écoutant, lisant, regardant des témoignages. Et une fois que je me suis bien immergée, je me laisse porter et j’écris, en essayant d’être le plus juste, le plus honnête possible, et aussi en gardant en mémoire tous ces témoignages.

Souvent on cantonne les gens à leur différence. Mais tout le monde est différent, tout le monde est unique. Faire un roman sur un personnage avec une différence, c’est montrer que cette différence, si elle est déterminante, est tout de même secondaire. On est avant tout humain.

C’est bon de le dire. De le rappeler. Parce qu’à ce titre, on est tous de la même famille. Et on peut tous prétendre aux mêmes droits et au même respect.

Comment vous est venue l’idée de l’histoire contée dans Welcome Sarah ?

L’idée m’est venue à la suite d’une rencontre. Un petit garçon de trois ans qui dansait revêtu d’une robe de Reine des Neiges. C’était le petit voisin d’amis à moi, il venait jouer l’après-midi avec leurs enfants. J’ai rarement connu un enfant aussi gracieux. Je l’ai revu par la suite, et mes amis m’ont raconté que ses parents lui avaient interdit de se déguiser ou de jouer à des jeux de filles. Le changement qui s’était opéré en lui était bouleversant. On aurait dit qu’une lumière s’était éteinte dans ses yeux. Le fils de mes amis, du même âge que l’enfant en question, me l’a expliqué de façon très simple : X est triste, parce qu’il voudrait être une fille et que ce n’est pas possible

Ça m’a bouleversée. J’ai frémi en imaginant ce que ça m’aurait fait à trois ans si on était venu me dire comme à cet enfant que je n’étais pas une fille. Il s’agit là d’une remise en question tellement drastique, tellement fondamentale. Ça m’a donné le vertige.

Alors j’ai écrit une nouvelle. Un texte court et incomplet. Autour de moi on m’a dit : tu te rends compte que c’est un sujet d’actualité ? Cela m’a refroidie et fait peur. En fait, je ne connaissais rien à la question ! Et de quel droit je me permettais d’écrire dessus ?

J’ai décidé de renoncer, mais ça continuait à me trotter dans la tête. Je me suis mise à lire et à me documenter. Et plus j’en savais, plus je ressentais l’envie de reprendre le personnage de ma petite Sarah. Alors deux ans plus tard, à l’occasion des rencontres organisées avec les éditeurs par la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse pour les lauréats du concours Émergences !, j’ai présenté l’idée, et l’équipe de Milan s’est montrée enthousiaste, ce qui m’a redonné confiance.

C’est un cliché de dire que les écrivains sont « habités » par leurs sujets, mais avec Welcome Sarah, c’est ce que j’ai ressenti. Pendant près de trois ans, Sarah m’a accompagnée. J’avais très peur. Peur de me tromper, de faire fausse route, de ne pas être assez juste, de n’avoir pas compris.

Milan m’a proposé, dès le début, de faire relire le texte par un.e.x lecteur.rice.x sensible. J’en ai été très heureuse.  C’était mon intention de toute façon. Mais j’avoue que j’avais un trac fou. Ma hantise étant de faire du mal sans le vouloir, de manquer de respect d’une manière ou d’une autre aux personnes qui pourraient se sentir concernées par l’histoire de Sarah. De les trahir

Alors que je finissais le livre, j’ai appris que j’avais une nouvelle nièce. Une nièce, qui avant était mon neveu, venait de faire son coming out. Contrairement à Sarah, elle avait attendu ses 18 ans pour le faire. Je lui ai dédié le livre.

Welcome Sarah

Autrice : Véronique Foz · Illustrateur : Vincent Roché

À partir de 14 ans

Parution le 22/05/2024