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La Fabrique à histoiresde Bernard Friot

L’échange d’enfants

26 juillet 2021
L. O. H. T. 12 ans

On était dans un pays où les parents pouvaient échanger leurs enfants à leur guise. M. et Mme. Pignon étaient en route pour la place publique de la ville : c’est là que les parents venaient échanger leurs enfants s’ils ne leur plaisaient pas. M. et Mme. Pignon avaient un fils : Georges Pignon. Ils voulaient l’échanger car il courait partout dans la maison et la mettait dans un désordre pas possible. Une fois, il avait même cassé le beau vase de sa mère. Arrivés sur la place, les parents de Georges remarquèrent une adorable fillette avec une belle petite robe et des yeux magnifiques à côté de sa mère. Ils s’approchèrent de la femme et lui demandèrent : « Elle est à échanger ? », la mère qui était en jogging et en queue de cheval serrée leur répondit : « Et comment ! Elle s’appelle Justine ! », enchanté, M. Pignon porta Georges comme une marchandise et le montra : « Vous en voulez ? ». La mère de Justine observa longuement le jeune homme et sourit : « Je prends ! », Mme. Pignon faillit tomber dans les pommes : quelle affaire ! Ils allaient enfin être débarrassés de ce garçon insupportable et deviendraient les chers parents d’une petite fille adorable ! Elle serra vivement la main de la mère de Justine avant qu’elle ne change d’avis. M. Pignon posa Georges sur le sol, le garçon jeta un dernier regard furieux à ses anciens parents avant de courir dans les bras de sa nouvelle maman. Elle lui dit : « Tu t’appelleras Georges Forpe désormais ! » et poussa doucement son ancienne fille en lui disant : « Vas-y, vas dire bonjour à tes nouveaux parents ! ». Justine fit un câlin à Mme .Pignon puis à M. Pignon, ceux-ci lui donnèrent une sucette en guise d’accueil. Georges ne put s’empêcher de crier : « Hé ! C’est ma sucette ! Et puis j’ai faim d’abord ! », sa nouvelle maman le rassura en lui disant qu’ils allaient acheter des glaces. Georges ne fut rassuré qu’à moitié : Justine le narguait des yeux en léchant sa sucette avec gourmandise. Les deux familles partirent chacune de leur côté.
Un peu plus tard, la famille Pignon traversait la rue après avoir fait une petite promenade avec leur fille. Ils passèrent près d’un banc où se trouvaient justement Georges et Mme. Forpe. Celle-ci leva la tête et salua les Pignon : « Ha ! Rebonjour chers Pignon ! Savez-vous que votre fils est une pépite ! Il m’a raconté ses fabuleuses notes à l’école ! Et malgré ça, il veut devenir sportif professionnel, quel ambitieux ! On s’est entraînés et je peux vous dire qu’il en a des muscles ! Il m’a même battu en course ! Permettez-moi de vous dire que votre fils est exceptionnel ! Ah non pardon, votre ancien fils… » elle lécha sa glace avec une moue provocatrice. Les Pignon, perturbés, n’en réagirent pas moins vite, ce fut Mme. Pignon qui riposta : « Et savez-vous que votre ancienne fille est un amour et qu’elle est très câline avec ses parents, elle projette de devenir chanteuse et top modèle ! Avec sa bouille d’ange et sa voix enjôleuse, ça va être un jeu d’enfant et elle rapportera pleins d’argent à ses chers parents qui l’ont toujours soutenue ! N’est-ce pas poupounette ? » ajouta-t-elle en fixant Justine, l’intéressée acquiesça en souriant et fit d’emblée un câlin à Mme. Pignon. Le père murmura : « A-do-rable », Mme. Forpe éclata de rire et s’adressa à Mme. Pignon : « Si vous n’êtes pas aussi cruche que je le pense (bien que ce soit fort probable), vous vous seriez doutée que je n’échangerai pas Justine si elle était aussi adorable ! Cette gamine est vicieuse, maléfique, cruelle, abominable, manipulatrice et ne pense qu’à elle ! Elle ne vous fait qu’une bonne impression mais sitôt à la maison, elle vous fera toutes les tortures imaginables qu’elle m’a fait subir ! Elle ne restera plus sage, gentille et silencieuse, non ! Elle mettra le bazar, mettra des punaises dans votre lit, déchirera vos robes et rideaux, torturera vos animaux de compagnie et fera des graffitis horribles sur le mur du salon ! Sans parler des invités ! Elle les mènera en bourrique puis les fera fuir avec l’envie de ne plus jamais revenir. Et vous voulez savoir ce qu’elle fait subir aux enfants de son âge cette abominable sorcière ?
Je vais vous raconter le jour où… » « C’est bon ! -l’interrompit Mme. Pignon- J’en ai assez entendu ! Si j’ai bien compris, ma fille est un rat gluant dont il faut se débarrasser au plus vite ! », pendant que la dispute faisait rage, Justine n’avait pas l’air de se rendre compte qu’on parlait d’elle, elle regardait une fleur avec attention. Mme. Pignon lui jeta un regard de dégoût et ajouta : « Alors rendez-moi mon petit sportif d’amour et je vous rends votre énergumène de petite sorcière ! Marché conclu ? », Mme. Forpe lui répondit : « Je vois que vous avez enfin compris… Mais c’est hors de question ! donné c’est donné reprendre c’est voler ! ».
M. Pignon s’approcha et retroussa ses manches : « Faites gaffe j’ai fait du judo plus jeune ! » « Ah bon, -riposta Mme. Forpe- si vous voulez savoir je fais judo karaté taekwondo, catch, MMA et j’en passe ! », M. Pignon sembla faire un pas en arrière mais c’était trop tard, la sportive lui fonçait dessus : la bagarre était engagée. Mme. Pignon se jeta dans la mêlée pour aider son mari en détresse.
Après quelques minutes à s’arracher les vêtements et se rouer de coups, les adultes se calmèrent, à bout de force. Ils remarquèrent vite qu’un couple s’éloignait avec Georges et Justine. Ils avaient profité de la bagarre pour échanger leurs enfants. Ils avaient laissé à la place deux jumeaux aux yeux globuleux qui fixaient les adultes sans émotion. Les Pignon et Mme. Forpe en prirent chacun un : ils étaient muets.
Après quelques jours passés avec eux, les deux familles se rendirent compte qu’ils ne faisaient rien la journée mais que la nuit, ils devenaient de véritables démons : ils prenaient un plaisir fou à gâcher la nuit de leurs parents : ils saccageaient les meubles, versaient de l’eau sur la tête de leurs parents, subtilisaient le porte-monnaie de leurs parents et faisaient des sorties nocturnes en cassant la fenêtre pour le vider dans les bars puis faire comme si leurs parents les avaient initiés à la drogue et à l’alcool et qu’ils les frappaient couramment, leur attirant ainsi des ennuis avec la police et les associations qui défendent les enfants. Pour Mme. Forpe, son jumeau était encore pire que Justine, cette fillette passait pour un ange à côté, elle la regrettait affreusement. Les Pignon, quant à eux, faisaient des cauchemars car leur fils les réveillait 5 fois par nuit, son visage luisant au-dessus de leurs têtes. Ils avaient bien sûr essayé de les échanger mais personne ne voulait d’eux et abandonner ses enfants méritait selon la loi la prison à vie. Les deux familles ont essayé toutes leur vie de s’en débarrasser mais en vain, les visages impassibles des jumeaux étaient là pour leur dire adieu sur leur lit de mort
Comme quoi, il faut toujours s’en tenir à ses enfants car ce ne sont jamais les pires.