Édouard Manceau et « la poule », à pieds joints dans l’enfance

Trois écoles et une bibliothèque portent son nom. Lauréat de plusieurs prix prestigieux, Édouard Manceau a signé une centaine d’ouvrages pour la jeunesse, mais refuse la casquette d’auteur-illustrateur. Il aime les mots dessinés et les dessins écrits. D’album en album, il tricote une langue à part pour les petits. Une langue drôle, loufoque, musicale. Singulière.

La poule : Je roule et j’ai un pull… C’est pas grand-chose pour une héroïne.

Édouard Manceau : Imagine un enfant qui court à la récré : il tombe, il se fait mal, il pleure. Il ne s’est pas passé grand-chose. Et pourtant, pour lui, si. Il a vécu une émotion forte. Eh bien, pour toi, c’est pareil. En apparence, j’en conviens, il ne se passe pas grand-chose.
Je vais te dire un secret : j’adore jouer aux Lego. Mais quand j’ouvre la boîte, je ne choisis que trois couleurs. Alors, forcément, ça devient plus difficile de faire un truc bien. Mais quand j’y arrive, je suis content. Et ce secret, il fonctionne dans tous les domaines de la création. En cuisine, notamment : tu prends des asperges, des œufs, de l’huile d’olive. Il n’en faut pas plus pour que ce soit bon. Et puis, je trouve que c’est chouette de montrer aux enfants qu’on peut bâtir une histoire avec trois fois rien.

La poule : J’aime bien mon pull tout doux en poils de toutou. C’est toi qui l’as tricoté ?

Édouard Manceau : Oui, j’aime bien tricoter une langue avec des mots. Des mots simples et, spécialement pour toi, des mots qui sonnent en « ou ». Avec juste une petite poignée de mots, on peut faire des histoires qui donnent la chair de poule. Jacques Brel a prouvé qu’on peut faire de très bonnes chansons avec peu de mots. J’essaie de faire comme lui. Et si tu as l’impression que ça m’a pris 5 minutes, tant mieux ! Je n’aime pas qu’on sente l’effort. Tu vois, quand on tricote un pull, il ne faut pas voir les mailles, juste le pull. Moi, ma matière première, ce sont les mots et les images en même temps. Les mots et les images sont comme de la pâte à modeler.
D’ailleurs, si tu regardes des dessins d’enfants, tu verras qu’ils aiment bien écrire et mettre des lettres dans leurs dessins, dès qu’ils savent les faire. Les mots dessinés, les dessins écrits, j’aime bien. C’est ça qui est intéressant.

La poule : Tu me trouves vraiment maboule ?

Édouard Manceau : Quand tu as déboulé sur la feuille de papier, j’ai su que tu étais quelqu’un. Un personnage ! Tu tombes, tu te fais mal. C’est vrai que tu en prends plein la poire ! Tu ne décides rien, tu es au service de l’histoire, mais tu joues le jeu. Au moins, on peut dire que tu te donnes ! Tu te casses en mille morceaux, juste pour le plaisir des lecteurs. Tu es un personnage burlesque.

La poule : Moi, j’aurais bien aimé être une héroïne de cinéma.

Édouard Manceau : Tu es une héroïne d’action ! Je trouve que tu as quelque chose de Charlie Chaplin ou de Buster Keaton. Comme eux, tu es dans le jeu et dans le gag. Et le gag, ça fait rire tout le monde. Pas besoin de parole avec un bon gag ! C’est de l’humour universel.

La poule : Pourquoi écris-tu des livres pour les enfants ?

Édouard Manceau : J’écris pour les enfants de 3 à 5 ans parce que, pour moi, c’est l’âge roi. À 5 ans, on peut tout faire, on a du vocabulaire, une énergie magnifique, une appétence incroyable. À 5 ans, on est mûr pour faire plein de choses et on a encore une grande naïveté. Moi, tu vois, j’ai 10 fois 5 ans et je continue de jouer. Je crois qu’on ne peut pas être un adulte accompli si on n’a pas gardé ses deux pieds dans l’enfance. Pour moi, les vrais créateurs sont reliés à l’enfance. Mais attention, pas comme un adulte qui essaie de se rappeler. Plutôt comme un adulte qui se remet à jouer. Et quand je vais voir des petits de maternelle dans les écoles, je joue.

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